Transports rapides : pourquoi il faut crier « Gare à L’Hyperloop ! »

samedi 5 janvier 2019, par Karel Vereycken

  • Bastia – Cagliari en 40 minutes ;
  • Limoges – Paris en moins de 30 minutes ;
  • Paris – Marseille en 45 minutes ;
  • Toulouse – Paris en 40 minutes ;
  • Lyon – Saint-Etienne en 8 minutes…

Qui dit mieux ?

Elon Musk devant une voiture électrique de sa société Tesla.

A coup d’opérations de communication géantes, d’annonces d’investissement de milliards de dollars, de vitesses spectaculaires et d’images futuristes, les projets (et surtout la fortune) d’Elon Musk, un jeune entrepreneur qui investit à fond dans les voitures électriques (Tesla), l’exploration spatiale (SpaceX), les avions à décollage et atterrissage verticaux avec propulsion électrique et promeut les transports terrestres à grande vitesse (Hyperloop), font rêver.

Milliardaire, Musk s’affiche philanthrope. S’il a fondé toutes ces entreprises, c’est pour sauver le monde et l’humanité. Parmi ses chevaux de bataille, combattre le réchauffement climatique par l’énergie durable et réduire le « risque d’extinction humaine » en créant une vie multi-planétaire par l’établissement d’une colonie humaine sur Mars.

A l’ère de Donald Trump, « il y a le sentiment dans les médias américains qu’une personne qui a réussi peut tout réussir, analyse Alon Levy. S’il dit qu’il peut le faire, alors il peut le faire. Comme si l’on pouvait être compétent dans tous les domaines. »

Hyperloop a annoncé des vitesses de voyage à 760 miles par heure, c’est-à-dire de 1223 km/h ou trois fois plus vite qu’un TGV. Une promesse de plus en plus revue à la baisse.

Ceux qui décrivent Hyperloop savent exploiter à merveille notre imaginaire collectif et historique :

L’idée se veut simple : faire circuler des capsules habitables dans un réseau de tuyaux sous vide. En utilisant un guidage magnétique au lieu des traditionnels rails et grâce à l’absence d’air, les frottements deviennent négligeables. Les capsules peuvent donc se déplacer à très grande vitesse (jusqu’à 1200 km/h) tout en ne consommant qu’une infime quantité d’énergie. Avec une gestion automatisée des flux de personnes et en couvrant les tubes de panneaux solaires, l’Hyperloop pourrait même être un moyen de transport neutre en terme de consommation d’énergie.

S’il est capable de vendre des télés couleur aux aveugles, Musk ne comprend rien à l’énergie ni à la densité énergétique. Il estime par exemple qu’en couvrant de panneaux solaires les tuyaux de transport traversant le désert californien et en récupérant l’énergie du freinage, Hyperloop fonctionnera comme un « générateur d’électricité » (dixit Musk) !

Evidemment, dans le genre, il y a pire. Par exemple le projet Hyper Chariot, un concept de transport dans des tunnels sous vide, imaginé par un riche couple d’ingénieurs américains, Nick et Joanna Garzilli.

A côté, Elon Musk est un petit joueur avec son projet Hyperloop et ses 1200 km/h. L’Hyper Chariot devrait pouvoir voyager à Mach 5 (6125 km/h), ce qui permettrait un Paris-Marseille en sept minutes ou un Paris-Moscou en une vingtaine de minutes, à condition de supporter une accélération et une décélération aussi rapide…

Avant de se pencher sur Hyperloop, voici un peu d’histoire et quelques principes.

Du « train atmosphérique » au Maglev
en passant par l’aérotrain

L’idée d’un transport « tubulaire » est tout sauf nouvelle. Si les pneumatiques sont décrits par Héron d’Alexandrie au cours du Ier siècle il faut attendre Denis Papin qui présente en 1687 le principe de ce qu’on appellera par la suite un « train atmosphérique ».

Le principe est relativement simple : au lieu de faire tracter la rame par une locomotive, on relie par une barre le « wagon directeur » à un piston qui se déplace grâce à de l’air comprimé dans un tube en acier d’un diamètre de 63 cm, posé le long de la voie. Des machines à vapeur produisant de l’air comprimé se chargent d’alimenter le dispositif.

Ainsi, en France, les frères Pereire obtiennent en 1835 la concession pour construire une ligne utilisant ce principe entre la Gare Saint-Lazare et Saint-Germain-en-Laye. En 1844, la Chambre des députés débloque un crédit d’1,8 million de francs pour améliorer cette technique. Le système entre en service en 1847.

D’autres pays participent à l’aventure. En 1841, sir Joseph Samuda publie à Londres son Traité sur l’adaptation de la pression atmosphérique à la locomotion sur rail.

  • En 1844, une première ligne de 2800 mètres est mise en service à Dublin, en Irlande,
  • suivie de la réalisation d’une ligne de 9,8 kilomètres à Londres en 1846.
  • D’août à octobre 1864, le Chrystal Palace Pneumatic Railway couvre une distance de 550 mètres.
  • Et en 1867, New York tente de mettre en œuvre la Beach Pneumatic Transit Company, un métro pneumatique, dans un tunnel de 95 mètres de long.

L’apparition de locomotives à vapeur plus performantes, la faible efficacité et les coûts élevés du « train atmosphérique » l’amènent à sa perte. La ligne de Dublin ferme en 1854 et la ligne Paris Saint-Germain est abandonnée en 1859.

Une navette à air comprimé dessert le terminal de l’aéroport de Porto Alegre au Brésil.
Maquette, à échelle réduite, d’un train à grande vitesse propulsé par de l’air comprimé développé par la société Flight Rail Corp.

Un siècle plus tard, à la fin des années 1970, le brésilien Oskar Coester a repensé le système avec des technologies modernes. Au Brésil, à Porto Alegre, un dispositif utilisant l’air comprimé baptisé « Aeromovel » fait fonctionner une navette de l’aéroport. Une ligne de 3,2 kilomètres fonctionne depuis 1989 dans un parc à thème indonésien.

Avec sa technologie VECTORR, la société californienne Flight Rail Corp ambitionne de construire, à prix modique, une version moderne du transport pneumatique à grande vitesse (360 km/h).

Le piston, mis en mouvement par de l’air comprimé dans un tuyau, tractera un véhicule évoluant sur un rail construit sur pylônes, non pas via une attache mécanique, mais par un champ électromagnétique.

Poste pneumatique

Couverture d’un cahier d’écolier expliquant la poste pneumatique.

Si l’utilisation de l’air comprimé est abandonnée pour les trains au milieu du XIXe siècle, cette époque verra naître la « poste pneumatique ». Londres d’abord, mais également Berlin adoptent alors cette technologie pour acheminer avec succès, au moyen de capsules cylindriques circulant dans des tubes pressurisés, lettres, télégrammes ou petits colis.

Utilisé jusqu’en 1984, la Poste de Paris en possédait jusqu’à 467 kilomètres. Le Titanic, la NASA lors du lancement d’Apollo, l’hôpital Beaujon de Clichy dès 1936 et, aujourd’hui encore, banques et administrations continuent à utiliser cette infrastructure.

Jules Verne ira plus loin. Dans sa nouvelle parue en 1889, La Journée d’un journaliste américain en 2889, il décrit des « tubes pneumatiques jetés à travers les océans » permettant aux hommes de voyager à vitesse supersonique.

Comme je l’avais rappelé dans un article de 2010, c’est en 1904 que le physicien américain Robert H. Goddard identifie les deux principaux obstacles empêchant l’homme de se déplacer à très grande vitesse sur Terre et dans l’espace :

  • la friction résultant du contact roue/rail, et
  • la résistance de l’air qu’on appelle la traînée.

La résistance de l’air dépend d’une part de la vitesse et d’autre part de la densité de l’atmosphère qui diminue avec l’altitude, ce qui incite les avions de ligne à voler aussi haut que possible.

À 20 000 mètres d’altitude, par exemple, la densité de l’air est si réduite que la traînée y est divisée par dix, ce qui permettait à l’avion supersonique Concorde d’atteindre la vitesse de 2000 km/h. Un calcul montre qu’au niveau de la mer et à puissance égale, il n’aurait pas pu dépasser 600 km/h.

A l’instar des planètes, les satellites qui évoluent dans l’espace, c’est-à-dire dans un vide presque parfait, s’affranchissent presque complètement de la résistance de l’air. Une fois sur orbite, leur mouvement devient perpétuel, ou presque.

Pour surmonter ces obstacles sur terre, on songe à supprimer le contact roue/rail et à réduire la densité de l’air,

  • soit en montant en altitude comme le font les avions,
  • soit en circulant (en souterrain ou sur pylônes) dans un tube dans lequel on crée le vide absolu ou partiel.

La Poste, version maglev

Système de transport de courrier par lévitation magnétique, inventé par Emile Bachelet en 1912.

C’est en allant dans ce sens qu’en 1912, l’inventeur d’origine française Emile Bachelet, qui cherche à moderniser la poste pneumatique, fait breveter aux Etats-Unis son « appareil de transmission par lévitation », capable de « transférer à grande vitesse, d’un point à un autre, des charges, ce qui est particulièrement avantageux pour des petits colis sur des grandes distances ».
En cas de besoin, précise son brevet, « il est envisageable de construire un appareil plus grand pour le transport de fret ou de passagers ».

Anticipant le moteur électrique linéaire, Bachelet affirme que « les moyens par lesquels le champ est formé pour effectuer la lévitation de la charge, peuvent être conçus de telle sorte qu’ils portent la charge tout le long de la voie, et la capsule peut évoluer le long de cette voie par des forces électromagnétiques produites par des électro-aimants (solénoïdes) placés le long de cette voie, qui poussent ou attirent à grande vitesse la capsule par un champ magnétique et sans y appliquer une quelconque force mécanique ». Son invention prévoit, dans un dispositif approprié, de « créer un vide devant la capsule ».

En France, la vitesse a toujours fait rêver. Comme le rappelle Christophe Studeny dans son ouvrage L’invention de la vitesse, le droit à la rapidité de transport est réclamé dès 1793 par le Comité des transports révolutionnaire.

Dans Ravage, roman de SF publié en 1943, René Barjavel dépeint les prémices d’un transport à grande vitesse en tube. Après avoir évoqué le remplacement progressif des voies ferrées par des « poutres creuses » et les trains classiques par des « trains suspendus », le romancier tance le chemin de fer classique : « On n’aurait tout de même pas accepté de s’asseoir dans une brouette poussive qui se traînait sur le ventre à trois cents kilomètres à l’heure ! »

Aérotrain, maglev, swissmétro, vactrain

Ainsi, chez nous, dès la fin des années 1950, l’ingénieur Jean Bertin (1917-1975) et ses collaborateurs identifient un principe physique, « l’effet de sol » (coussin d’air) qui n’a rien à voir avec l’air comprimé. Ils proposent de l’appliquer à la sustentation de véhicules terrestres (aérotrain) et marins (naviplane). Dépourvu de toute friction avec une simple voie en béton sur pylônes, cette approche se prête à merveille à la grande vitesse.

Le concept de Bachelet refera surface, d’abord en 1934 avec le dépôt d’un brevet par l’allemand Hermann Kemper pour un train à lévitation magnétique (Maglev) suivi en 1967 par James Powell et Gordon Danby, deux chercheurs américains travaillant pour le Laboratoire national de Brookhaven aux Etats-Unis, qui déposent en 1967 le premier brevet américain pour un Maglev utilisant des électroaimants supraconducteurs, ultérieurement utilisé pour le Maglev au Japon.

Plus proche de nous, au début des années 1970, c’est l’ingénieur suisse Rodolphe Nieth qui imagine le « Swissmetro », un train sans roue ni caténaire filant à 500 km/h dans deux tubes sous vide creusés sous le plateau, et reliant à intervalle régulier (arrêt compris) de 15 minutes Genève à Lausanne, Lausanne à Berne et Berne à Zurich.

En août 1972, la Rand Corporation, un laboratoire d’idées dans l’orbite du Pentagone, publie l’étude de Robert M. Salter sur le « VacTrain », un système de transports à très grande vitesse (VHST) dans un tunnel sous vide. Salter y évoque des véhicules « évoluant sur des ondes électromagnétiques comme des surfeurs sur les vagues de l’océan », capables de concurrencer l’avion, car plus rapides et moins polluants.

Hyper-loup

Entrons maintenant dans le vif du sujet.

Tout commence en Californie, où Elon Musk s’agace à propos des embouteillages à n’en plus finir. Pour échapper à cet enfer, Musk invente Hyperloop, un « cinquième mode de transport », après la route, la mer, l’air et le rail, bien que ce nom fût attribué depuis longtemps au transport par voie souterraine.

Pour définir son concept, Musk évoque, en septembre 2012, l’idée d’un croisement entre le Concorde et le canon électromagnétique, en précisant qu’il s’agirait d’un système sans rails. Avec Hyperloop, relier San Francisco à Los Angeles (614 km) ne coûterait plus que 6 milliards de dollars, dix fois moins que la ligne TGV en cours de réalisation.

Brogan Bambrogan (ingénieur-en-chef) et Shervin Pishevar (ex-vice-président), deux responsables d’Hyperloop.

Un an plus tard, en 2013, Elon Musk et Shervin Pishevar publient Hyperloop Alpha, une note de 58 pages supposée clarifier les principes et les objectifs du projet Hyperloop.

Pishevar, une figure emblématique de Silicon Valley, a ses entrées à Wall Street et à la Maison-Blanche. Fondateur et patron de Sherpa Capital, il est actionnaire d’une soixantaine d’entreprises, dont Uber et Airbnb. Il a levé des fonds pour la campagne d’Obama, puis pour Hillary Clinton.

Dans leur note, Elon Musk s’offusque :

Lorsque le projet de train à grande vitesse fut approuvé (par les élus), j’étais assez déçu, et je savais que plein d’autres gens l’étaient également. Comment se faisait-il qu’à un endroit où se trouvent la Silicon Valley et le JPL – où des choses extraordinaires se font telles que l’informatisation de la connaissance mondiale et l’envoi de rovers sur Mars – on construirait un train rapide parmi les plus chers au kilomètre et les plus lents ?

Lancée en 2015, la construction d’une ligne TGV de plus de 1100 kilomètres, dont les 614 km reliant San Francisco à Los Angeles, devrait s’achever vers 2033. Le train roulerait, selon les sections, à une vitesse allant de 140 à 350 km/h, réduisant le temps de trajet à 2h 38 minutes. Son coût prévisible dépasse déjà les 50 milliards d’euros.

Sur le constat, Musk n’a pas entièrement tort, surtout à propos du prix. Il oublie qu’a ce jour, dans son pays, la plupart des lignes ferroviaires ne sont pas encore électrifiées. Faire un TGV en Californie implique donc d’augmenter les capacités électriques de toute une région ou de le faire rouler à l’hydrogène.

Musk, avec sa vision écolo-bobo, attribue des notes aux différents modes de transport :

  • la route (bon marché, lent, fort impact environnemental) ;
  • l’air (cher, rapide, fort impact environnemental) ;
  • le rail (cher, lent, souvent avec un fort impact environnemental).

Ce qu’il demande donc, c’est un transport « plus rapide », avec « plus de sécurité », à un « coût moindre », « moins contraignant », qui « produise sa propre énergie » et « résiste aux tremblements de terre ». Rien que ça ?

Avec Hyperloop, Musk propose juste une liaison à grande vitesse San Francisco – Los Angeles parcourant 614 km en 35 minutes.

Intérieur d’une capsule Hyperloop (version publicitaire). A la place des fenêtres, des écrans.

Circulant dans un tuyau sous vide partiel, dans sa version « voyageurs », des capsules de 1,35 mètres de large et 1,10 mètres de haut (p. 15) transporteront chacune au maximum 28 passagers à des vitesses de pointe de 1130 km/h (700 miles).

Chaque capsule, bagages compris, pèserait environ 3,1 tonnes, un chiffre assez farfelu vues les exigences.

Pour les passagers, c’est la fête.

Vous voyagerez couchés dans une fusée envoyée dans un tunnel. Et les tubes ne seront pas transparents comme l’annoncent les plaquettes publicitaires. Mais soyez rassurés ! Pendant que vous regarderez votre film préféré ou votre Smartphone, des images de beaux paysages défileront sur les parois. Prévoir tout de même des couches-culottes…


Hyperloop, annonce publicitaire.
Hyperloop, réalité.

Ensuite, et désolé de vous décevoir, mais Musk n’a jamais prétendu qu’Hyperloop deviendrait le système de transport universel pour le monde de demain.

Pour lui, il ne s’agit même pas de développer les Etats-Unis en désenclavant des régions oubliées, ni d’irriguer de nouveaux territoires grâce à l’activité humaine. Il s’agit simplement de construire le transport qui convient le mieux aux bobos de la Silicon Valley et de battre les concurrents (l’avion et le TGV) sur un axe déjà « rentable » car emprunté par 6 millions de personnes chaque année.

Hyperloop, dit-il (p.2),

est, à mon avis, la bonne solution pour le cas spécifique de trafic dense entre deux villes séparées de moins de 1500 kilomètres ». Au-delà, l’avion supersonique (construit par Musk) fera mieux, car il « résout tous les problèmes de deux villes séparées par une grande distance, sans devoir créer un vaste réseau mondial d’infrastructures.

Alors que la deuxième section de la note présente des données plus techniques et chiffrées, les auteurs présentent en préambule (page 3), dans le pur style high tech californien, une description (dite pour les nuls) de leur projet.

Les auteurs rappellent d’abord l’existence d’une loi universelle et immuable de l’aérodynamique qui fait que la résistance de l’air augmente comme le carré de la vitesse :

A part la téléportation (déplacement d’un corps dans l’espace sans parcours physique des points intermédiaires entre départ et arrivée), qui serait évidemment géniale (que quelqu’un le fasse, SVP !), la seule option pour un vrai transport ultra-rapide consisterait à construire un tube, sur ou sous le sol, équipé d’un environnement spécifique. C’est là qu’apparaissent les embûches.

D’un côté, on pourrait dire que l’une des solutions potentielles pourrait consister à amplifier les tubes pneumatiques utilisés pour envoyer le courrier à l’intérieur d’un même bâtiment et entre différents bâtiments. En théorie, on pourrait construire des compresseurs suffisamment puissants pour envoyer à grande vitesse des capsules habitées entre LA et San Francisco. Cependant, le frottement d’une colonne d’air de 350 miles de long, se déplaçant à l’intérieur d’un tube à une vitesse proche de celle du son, serait si intense qu’en pratique, c’est impossible.

De l’autre côté, on a l’idée préconisée par l’étude de la RAND et ET3, consistant à créer un vide absolu dans le tube et à utiliser la lévitation magnétique. Le problème de cette approche, c’est qu’il est extrêmement difficile de créer un vide absolu dans une chambre et encore moins dans un gros tuyau de 1100 kilomètres de long avec des douzaines de stations et de capsules entrant et sortant tout au long de la journée. Il suffirait d’une petite fuite quelque part sur le parcours pour que tout le système s’arrête.

Un système à basse pression (par rapport à 0 pression) permettant aux compresseurs de surmonter une fuite d’air et de gérer le mouvement des capsules, représente une solution. Cependant, un vide partiel nous oblige à accepter l’existence d’une infime quantité d’air dans les tubes, ce qui nous conduit irrémédiablement au problème suivant.

Chaque fois qu’une capsule se déplace dans un tube contenant de l’air, il existe un rapport optimal entre le diamètre de la capsule et celui du tuyau (un critère dénommé ’limite de Kantrowitz’). Si la taille de la capsule est trop importante par rapport au tuyau, elle se comportera comme une seringue et se retrouvera à pousser toute la colonne d’air devant elle (’effet piston’). Pas terrible.

C’est très problématique puisque cela vous oblige soit à ralentir, soit à augmenter la taille de votre tube. Pour surmonter cette limite de Kantrowitz, on estime qu’il n’y a que deux solutions : ralentir, ou aller vraiment très vite.

La dernière solution peut sembler attractive jusqu’au moment où vous vous rendez compte que voyager à des milliers de kilomètres à l’heure ne vous permet pas de prendre des virages sans effets pénibles d’accélération pour le passager. Pour un voyage de LA à SF, il ressentira également une forte accélération et décélération. Et pour le dire franchement, pour le passager, passer par un buffet transsonique dans un tube s’annonce une perspective épineuse.

Question confort et sécurité, la vitesse de 560 km/h est préférable. Pour des trajets plus longs, comme par exemple entre LA et New York, il serait intéressant d’explorer des vitesses plus élevées et c’est sans doute techniquement possible, mais comme on l’a dit, je crois que du point de vue économique, c’est l’avion supersonique qui serait meilleur.

L’approche qui, à mon avis, permettra de surmonter la limite de Kantrowitz, c’est d’installer un ventilateur sur le nez de la capsule, capable de transférer vers la queue du véhicule l’air sous pression qui lui vient en face. C’est comme monter une pompe sur le devant d’une seringue, afin de réduire la pression.

Du coup, cela résoudra un autre problème, celui de la sustentation à moindre friction lorsqu’on circule à plus de 1000 km/h. La roue n’est pas adaptée à ce type de vitesse, contrairement au coussin d’air. Des paliers pneumatiques, utilisant le même principe qu’une table de hockey pneumatique, fonctionnent à des vitesses de Mach 1,1 avec très peu de frottement. Dans notre cas, vue l’importance de fabriquer des tubes à faible coût et donc le plus simplement possible, c’est la capsule qui produit le coussin d’air, plutôt que le tube.

Soulevées par des coussins d’air sur skis pour réduire les frottements et propulsées par un champ électromagnétique à l’intérieur de tubes sous vide, les capsules seraient théoriquement capables d’atteindre la vitesse vertigineuse de 1102 km/h, soit un peu moins que la vitesse du son.

Maintenant, si Hyperloop peut paraître très high tech et hyper-sophistiqué, c’est peut-être précisément là que se trouve son problème.

Première problème, l’incompatibilité des principes physiques. On veut éliminer la présence de l’air tout en cherchant à l’utiliser pour la lévitation. Pas sûr que « l’effet de sol » (le coussin d’air) fonctionnera dans le vide partiel ? Et pour refroidir les moteurs, on fait comment sans air ?

Notez que contrairement à certains de ses adeptes et critiques, Elon Musk (dans sa note) ne semble pas ignorer qu’en cherchant à combiner les principes du « train atmosphérique » (propulsé par de l’air comprimé), du coussin d’air (comme l’aérotrain de Bertin), des champs électromagnétiques (comme le Maglev) et des véhicules ordinaires sur rail (pour les basses vitesses), le projet Hyperloop, de façon gadget, additionne d’office toutes les difficultés qu’apporte la mise en œuvre de chacune de ces technologies, autant que leurs coûts respectifs.

Or, comme on l’a vu dans l’histoire de l’humanité, les grandes innovations ne sont jamais compliquées. Le progrès n’est pas une somme de technologies se corrigeant les unes les autres, mais la mise en œuvre magistrale d’un ou deux grands principes.

Ce qui fait qu’aussi bien le coût que le succès de tout projet de transport à grande vitesse dépendent en dernière analyse des principes scientifiques mis en œuvre.

Les critiques

Alors qu’il faudrait apporter la démonstration méthodique des principes de base du projet, il n’en est rien.

Ecoutons ce qu’en dit en septembre 2017 Etienne Henri, ingénieur de formation, sur le site Opportunités Technos :

Trop occupé à révolutionner le secteur automobile (Tesla) et la conquête spatiale (SpaceX), Elon Musk a rendu publics les principes et spécifications de son train sous vide. Aucun brevet n’a été déposé ; investisseurs et industriels ont au contraire été invités à s’approprier la technologie et à travailler sur des capsules capables de suivre le cahier des charges proposé. N’y voyez aucune philanthropie : cette structure originale a été mise en place pour inciter le secteur high-tech à se pencher sur le concept.

En ne se préoccupant que des grandes lignes, Elon Musk a pu éluder des aspects-clés de tout projet industriel. La rentabilité, tout d’abord, a été passée sous silence. Les annonces de coût au kilomètre dérisoire sont à prendre avec beaucoup de circonspection sachant que la conception débute à peine. L’attrait de la solution proposée n’a été validé par personne. Les passagers préfèreront-ils vraiment s’enfermer dans une capsule trop petite pour s’y tenir debout, éclairée par des lumières artificielles et soumise à des accélérations dignes d’un avion au décollage ? Il faudra certainement avoir le cœur bien accroché et ne pas avoir forcé sur le déjeuner sous peine de trouver le voyage très long. S’il est impossible de lire ou travailler dans les capsules, le temps gagné pourrait bien se transformer en temps perdu pour les voyageurs californiens. La législation est également inexistante. Elon Musk indique que l’Hyperloop sera particulièrement compétitif face à l’avion grâce à la disparition de tous les petits contretemps : contrôles de sécurité, enregistrement, embarquement à rallonge ne seraient qu’un mauvais souvenir… C’est oublier que le législateur ne s’est pas encore penché sur la question de la sécurisation des capsules. Les contraintes ne manqueront pas d’arriver lorsque les premières lignes ouvriront.

Après tout, le transport aérien était encore d’accès facile il y a quelques décennies. La faisabilité, enfin, n’en est qu’à ses balbutiements. Elon Musk a annoncé Hyperloop sans même disposer de prototype fonctionnel. Vous comprenez mieux pourquoi le projet n’a pas connu d’accélération fulgurante dès sa naissance. Les zones d’ombre étaient trop nombreuses, et peu d’industriels souhaitaient prendre le risque de se frotter à autant d’inconnues.

Vous avez dit « essais » ?

Pour continuer à attirer des capitaux, comme toute entreprise affirmant des ambitions technologiques, Hyperloop a bien dû produire quelques prototypes et faire au moins semblant de réussir quelques expériences « validant » les principes du projet.

Ce fut le cas en mai 2016, lorsque Hyperloop One faisait sa première démonstration dans le désert du Nevada. Un traîneau monté sur des patins métalliques glissant sur deux rails a été lancé à 185 km/h sur une distance de 457 mètres avant d’être freiné par un amas de sable. La propulsion provenait d’un moteur électrique linéaire consistant en un rotor placé dans le traîneau et un stator disposé entre les rails sur les 57 premiers mètres de la piste.

En bref, le dispositif de base d’un Maglev (avec un rail actif) dont le coût dépasse facilement les 50 millions d’euros le kilomètre d’infrastructure fixe. Plus question de coussins d’air ni de moteur linéaire impulsant à intervalles réguliers une capsule de transport.

Allison Arieff, qui faisait partie des quelques centaines d’invités : « Je m’attendais à revivre les records du monde de franchissement du mur du son et ce que j’ai vu ressemblait plutôt à un pistolet en mousse en action, je n’arrivais pas à y croire. »

En effet, comme le montre cette séquence vidéo et l’animation ci-dessous, il s’agissait d’une vulgaire catapulte spatiale ou « Canon de Gauss » (voir notre article), une technologie développée par la NASA depuis 1976 et perfectionnée dans le cadre de l’Initiative de défense stratégique (SDI) pour la défense anti-missile américaine. Avec sa boîte SpaceX, Elon Musk a l’habitude que ses copains de la NASA lui filent quelques gadgets.

Il ne s’agit donc même pas d’un remake du Swissmétro, puisque le chariot, certes propulsé par un moteur électrique linéaire, se déplace sur des roues en acier posées sur un ou des rails en acier.

S’il s’agit d’un « démonstrateur de principe » (d’un moteur électrique linéaire), il s’agit d’un principe démontré depuis longtemps.

Catapulte spatiale de la NASA. Un moteur électrique linéaire permettant la mise en orbite de petits satellites.

Un an plus tard, en mai 2017, Hyperloop One va médiatiser son nouveau « test ». Les équipes de chercheurs semblent vivre l’arrivée de l’homme sur Mars. Or, comme le montre cette vidéo, la séquence décisive ne dure qu’à peine 5 secondes. On y voit de nouveau notre traîneau lancé sur les rails, mais cette fois-ci dans un tunnel sous vide partiel. Pendant quelques instants, les roulettes du traîneau finissent par décoller sous l’effet de la vitesse. Aucune autorité n’est présente pour vérifier.

Parallèlement à cette pseudo-démonstration de principe, Hyperloop One a également dévoilé un prototype de capsule qui servira aux tests. Baptisée XP-1, celle-ci se compose d’une structure en aluminium et fibre de carbone qui viendra se fixer sur le traîneau à lévitation magnétique.

Exit le ventilateur sur le nez de la capsule. Rien de plus normal, car on est dans la lévitation magnétique. Euh… que devient « la limite de Kantrowitz », c’est-à-dire l’élimination de l’effet piston ?

Pour faire rêver les jeunes et attirer des talents, Space X, la société d’Elon Musk, organise chaque année depuis 2015 l’Hyperloop Pod Competition. C’est l’occasion pour des écoles d’ingénieurs du monde entier de présenter leurs modèles à taille réduite et de les tester dans un tuyau sous vide partiel.

En août 2017, en atteignant les 324 km/h, l’équipe allemande avait déjà battu toutes les autres avec son véhicule. Cette année, en 2018, avec leur WARR Hyperloop, les pensionnaires de l’université de Munich ont franchi un nouveau cap avec une vitesse de 467 km/h.

C’est remarquable, mais on est très loin des 1200 km/h et encore plus de la technologie initiale du projet. Au final, WARR Hyperloop a battu EPFL Hyperloop (Suisse) et Delft Hyperloop (Pays-Bas). « C’est incroyable de constater les progrès d’année en année… Cela me ravit de voir ô combien les pods que vous créez sont biens », a assuré Elon Musk, impressionné par la compétition, le 22 juillet 2018.

Tout ça pour ça ? Rappelons que déjà dans les années 1960, l’équipe de l’ingénieur Jean Bertin avait effectué, sur une piste aérienne, un essai à 1543,5 km/h (Mach 1,25) à l’aide d’un chariot évoluant sur coussins d’air et équipé de réacteurs. C’était il y a cinquante ans !

Les chercheurs de Jean Bertin à la fin des années 1960. Un chariot supersonique sur coussins d’air et une voie de guidage. Les coussins d’air furent alimentés par des bouteilles d’air comprimé. L’engin fut propulsé avec un moteur d’avion. En atteignant la vitesse de Mach 1,25 (1543,5 km/h) sur 200 mètres, ce dispositif expérimental démontra la fiabilité des coussins d’air pour la grande vitesse.

Piège à subventions

Pour sa part, Marcel Bayle, professeur à l’université de Limoges, écrit le 15 mars 2018 sur son blog à propos des sociétés commerciales dont l’objet est de réaliser un prototype pour Hyperloop :

Il s’agit de mettre en tube un ou plusieurs systèmes de transport par engins à sustentation magnétique afin d’éviter le frottement et donc de réduire considérablement la dépense énergétique. En 2013, l’inventeur milliardaire Elon Musk a rendu crédible cette idée, mais sans se l’accaparer : il a incité toute personne intéressée à la développer. Cinq ans après, il en résulte un jeu de concurrence entre plusieurs sociétés privées. Chacune sollicite les pouvoirs publics dans plusieurs Etats du monde (USA, Canada, Russie, Slovaquie, France, etc.) pour obtenir des subventions permettant de réaliser un prototype. Ainsi le gouvernement slovaque espère-t-il une concrétisation dès 2020 à Bratislava ; ainsi les Toulousains et les Limougeauds espèrent-ils avoir chacun leur prototype avant 2022. Chaque région se croyant au centre du Monde semble prête à investir sans peut-être maîtriser toutes les subtilités du droit de la propriété intellectuelle : de grandes difficultés s’annoncent pour faire valider un brevet mondial ‘définitif’ alors que les technologies en voie de développement sont voisines.

Ainsi, en Europe, les startups et les partenariats se multiplient.

La première, c’est Hyperloop One, une société de droit américain qui semble avoir pris pied en Europe de l’Est pour tester le projet Hyperloop.

En 2016, une levée de fonds a réuni neuf investisseurs, parmi lesquels General Electric et la SNCF. Tout en assurant avoir atteint avec les TGV « un seuil vitesse/coût optimal », il s’agit pour l’entreprise française de garder un œil sur cette technologie qui risque de bouleverser la manière de voyager, tout en martelant que progrès ne rime plus avec vitesse à outrance. « Techniquement, on saurait aller au-delà de 360 km/h, mais cela nécessite des investissements lourds pour des gains de temps assez minimes », souligne la SNCF.

Au-delà des liens financiers, et de l’intérêt de l’Arabie saoudite de MBS, Hyperloop One revendique aussi la caution d’une série d’autres spécialistes du secteur du transport, avec l’annonce parallèle de plusieurs « partenariats mondiaux ». Ils impliquent notamment les sociétés d’ingénierie française Systra (filiale de la SNCF et de la RATP) et allemande Deutsche Bahn Engineering and Consulting, ou encore le groupe suisse Amberg, présenté comme un expert dans l’infrastructure de transport et les tunnels.

A Hambourg, un opérateur de terminaux portuaires a créé une joint-venture avec Hyperloop Transportation Technologies (HTT). L’objectif de cette filiale commune est de concevoir puis de commercialiser un système de transport rapide des conteneurs maritimes. Le projet prévoit la construction d’une station hyperloop sur le terminal de la société, dans le port de Hambourg, pour tester le futur procédé et développer une capsule de transport pour les conteneurs.

Quatre cents personnes travaillent sur le projet d’Hyperloop One, mais seulement le quart d’entre elles sont salariées par la société : la grande majorité sont des employés de la Nasa, de Boeing ou SpaceX qui troquent leur temps libre contre des stock-options et le sentiment de changer le monde.

En France, deux projets sont en concurrence :

  • Le canadien Transpod à Limoges et
  • l’américain Hyperloop Transportation Technologies (HTT) à Toulouse.

Tous deux ont bien compris que la grande vitesse était un sujet sensible en Haute-Vienne et en Haute-Garonne. Deux villes qui courent après le TGV depuis des années.

Transpod à Limoges

Image publicitaire de Transpod.

TransPod est une société de droit canadien qui a séduit les élus de Limoges et de sa Communauté d’Agglomération. A sa tête, le français Sébastien Gendron, un ancien d’Airbus et de Bombardier Transportation passé par Messier-Bugatti-Dowty. La première levée de fonds a eu lieu un an plus tard auprès d’Angelo Investments, un investisseur italien de la région des Pouilles. « Nous avons créé une filiale en Italie pour développer des sous-ensembles et notamment la transmission de puissance, car l’un des points critiques est de pouvoir transférer du courant en continu sans fil », explique Sébastien Gendron.

Cela est supposé rendre crédibles ses autres demandes de subventions et prêts.

Pour sa part, le président PS du Conseil départemental de Haute-Vienne, Jean-Claude Leblois, a reçu les dirigeants de Transpod et a concédé une voie de trois kilomètres pour les essais sur la commune de Droux, au nord du département.

Le département ne fait que céder le terrain, ensuite il faudra trouver des fonds. Ils vont effectuer des tests qui permettront de mesurer certains phénomènes. C’est une opportunité pour faire travailler notre université, nos étudiants et nos ingénieurs. Quant à une future ligne, il ne faut pas tout mélanger. Je prends les choses dans l’ordre mais Limoges doit être désenclavé et nous continuons le combat pour la LGV.

Alors que le site de Transpod vante des vitesses de croisière de 1000 km/h, Gendron se veut rassurant :

Nous nous voulons pragmatiques et crédibles (…) On n’annonce pas que l’on sillonnera les mers de tunnels et que vous pourrez acheter votre ticket en 2020-2021 (…) Pour l’instant nous effectuons les tests en laboratoire mais avec la future piste de trois kilomètres à Droux (Haute-Vienne), nous allons travailler avec une maquette à l’échelle 1:2.

« La Silicon Valley, au départ il n’y avait rien, et nous sommes sur le même principe », raconte Vincent Léonie, maire adjoint de Limoges (Mouvement radical), président de l’association Hyperloop Limoges, qui rêve de désenclaver sa ville : « Aujourd’hui, les terrains ne sont pas chers et disponibles à Limoges mais nous avons de l’intelligence avec notre université. Nous défendons le désenclavement par notre intelligence pour montrer ce que l’on est capable de faire. Imaginez un Francfort – Paris – Limoges – Barcelone ».

Il se défend d’apporter la moindre contribution financière au projet Transpod. « Le tour de table de Sébastien Gendron [le président de Transpod] est à 100 % privé. Après, si certaines collectivités veulent s’y joindre, pourquoi pas, mais je ne veux pas que les gens pensent que c’est une lubie d’un élu qui va dilapider l’argent public. »

Dans l’Usine nouvelle, Gendron a tenu cet étrange raisonnement : « Il n’y a pas suffisamment de population à Limoges pour justifier une ligne qui relierait Paris. »

Mais elle pourrait s’insérer dans une ligne plus importante à partir de Toulouse. Dénonçant les annonces précipitées qui évoquent déjà une ligne commerciale dans moins d’une dizaine d’années, il tempère :

La première ligne commerciale transportera d’abord du fret avant d’embarquer des passagers. Les lignes avec des voyageurs se développeront entre 2035 et 2040, pas avant. Il faudra résoudre le problème du coût et savoir quelles villes desservir. Il faut construire des gares. Certaines pourraient s’arrêter à Limoges, d’autres relier, par exemple, directement Paris à Toulouse. Nous sommes plus sur la fréquence d’un métro avec la vitesse d’un avion.

« Plus les régions sont périphériques et délaissées, plus elles sont sensibles aux mensonges de ces individus », constate laconiquement Yves Crozet, professeur à Science-Po Lyon.

Gendron prépare déjà le terrain : « Hyperloop, contrairement à ce que l’on peut lire, ne va pas se concrétiser en 2020 ou 2022. Mais désormais, neuf sociétés travaillent sur le sujet, deux milliardaires se sont lancés dans la course. Hyperloop, ce n’est plus de la fantaisie. C’est sérieux. Même si cela ne se concrétise pas, je ne vois pas de risque à donner un feu vert politique à ce projet. Dans l’hypothèse peu probable où cette technologie n’aboutirait pas, cette expérience générera forcément des applications concrètes pour notre vie quotidienne, c’est cela l’innovation, il faut savoir prendre des risques. »

Hyperloop TT à Toulouse

Image publicitaire d’Hyperloop Transportation Technologies (HTT) installé à Toulouse.

Enfin, Hyperloop Transportation Technologies (HTT). Cette société de droit américain a séduit les élus d’Occitanie et de Toulouse Métropole, ainsi que l’Etat français, ce qui lui permet d’installer sur l’ancienne base militaire de Francazal, aux portes de Toulouse, son centre de recherche et développement, ainsi qu’une piste d’essai d’un kilomètre de long (!).

La communication de cette société valorise Toulouse-Francazal qui « devient ainsi le troisième pilier, avec la Californie et l’Ontario canadien, des recherches sur le déplacement à très grande vitesse (entre 1000 et 1200 km/h) de capsules dans des tubes à basse pression utilisant l’énergie électromagnétique. »

Interrogé par L’Usine nouvelle, HTT a déclaré avec beaucoup d’assurance « avoir déjà résolu tous les obstacles technologiques nécessaires pour construire l’Hyperloop (…) Les obstacles restants concernent plus la régulation et nous y travaillons avec de nombreux gouvernements autour du monde. » L’avenir nous le dira.

Déjà en avril 2018, un premier couac a fait sensation. Une semaine après la déclaration triomphale de Bibop Gresta, président d’Hyperloop TT, qui dévoilait la signature d’un accord avec les Emirats arabes unis en vue de construire une première ligne de 10 kilomètres entre les aéroports de Dubaï et d’Abou Dhabi, l’autorité des routes et des transports de Dubaï, via twitter, a indiqué « nier la validité de l’annonce de la société de technologie de transport Hyperloop TT concernant la première ligne de train ultra-rapide reliant l’aéroport d’Abu Dhabi et celui d’Al Maktoum à Dubaï ».

En outre, elle considère que « ce type de projet doit être précédé d’études de planification et d’ingénierie minutieuses, ainsi que d’études de faisabilité, pour réduire les risques potentiels et maximiser les avantages du projet ».

Le démenti publié par les autorités de transports de l’Emirat jette le doute sur le sérieux de la start-up californienne qui aura naturellement à s’expliquer, notamment auprès des collectivités locales appelées à soutenir l’entreprise.

Le 3 août 2017, La Dépêche du Midi avait déjà révélé l’embarrassant passé de son patron, Andreas de Léon, dont la carrière s’est soldée par des catastrophes industrielles en Belgique et en Espagne.

HTT semble avoir la même politique salariale qu’Hyperloop One. Se basant sur les déclarations publiques de son PDG Dirk Ahlborn, Wikipedia affirme que « fin 2015, l’entreprise n’emploie que 4 salariés, mais près de 450 personnes travaillent sur le projet, principalement à distance (seule une vingtaine sont dans les bureaux d’HTT à Los Angeles) et pour la plupart pas à plein temps, conservant un autre travail par ailleurs. Elles sont rémunérées en stocks options et sont réparties en 47 équipes de 4 à 7 personnes devant résoudre une problématique assignée par la hiérarchie dans un temps donné. »

Tout cela n’empêche pas de tirer des plans sur la comète. Voici quelques projets phares :

  • Europe. Hyperloop Transportation Technologies, l’entreprise américaine présente à Toulouse (Haute-Garonne), a annoncé en début d’année un accord en vue d’une potentielle liaison entre la ville tchèque de Brno et la capitale slovaque, Bratislava, distante de 130 kilomètres. HTT a également signé un accord avec le gouvernement ukrainien. La première phase consistera à construire une piste d’essai de 10 kilomètres.
  • Grande-Bretagne, Virgin Hyperloop One réfléchit à deux itinéraires entre Édimbourg et Londres et entre Glasgow et Liverpool.
  • Amérique du Nord. Les États-Unis concentrent plusieurs projets, notamment pour Virgin Hyperloop One. De Chicago à Pittsburgh, de Dallas à Houston, de Miami à Orlando. Elon Musk a annoncé il y a un an une ligne reliant New York à Washington en 29 minutes (mais il faut percer un tunnel de 400 kilomètres…) et tout récemment, une ligne entre Chicago et son aéroport. Le Chicago Express Loop roulerait à 240 km/h.
  • Asie. Virgin Hyperloop One prévoit de développer un itinéraire allant de Bengalore à Chennai en Inde, mais aussi entre Mumbai et Chennai. L’indien DGWHyperloop propose un troisième projet dans ce pays avec une liaison entre Delhi et Mumbai. En juillet, Hyperloop TT a annoncé un projet de ligne de 10 kilomètres en Chine.
  • Moyen-Orient. En avril, Hyperloop TT et Aldar Properties ont signé un accord pour la mise en service d’une première ligne commerciale de 10 kilomètres entre Abu Dhabi et Dubai. Et Hyperloop TT voit grand. Il compte développer un réseau sur toute la péninsule arabique. Virgin Hyperloop One travaille sur une ligne reliant la capitale saoudienne, Riyad, à la ville portuaire de Djeddah, distante d’environ 850 kilomètres à vol d’oiseau. Le trajet serait de 1h 16mn contre 10 heures actuellement.

Cacophonie

Si la multiplication des projets de recherche est une bonne chose en soi, Marcel Bayle, professeur de droit privé à l’université de Limoges, en définit les limites :

Chaque société veut évidemment tirer son épingle du jeu et obtenir les droits de propriété industrielle (brevets et marques) sur le procédé qui, peut-être, sera finalement exploité commercialement. Cela fait songer à ce qui s’est passé à l’aube du transport ferroviaire : en France, entre 1845 et 1870 ont existé de nombreuses compagnies ferroviaires qui, bientôt, firent faillite. Il resta six sociétés de chemins de fer avant une unification par création de la SNCF le 1er janvier 1938.

Faute de chef d’orchestre, c’est la cacophonie garantie : Le projet ne doit pas devenir une pompe à subventions pour un résultat certes ludique (chaque prototype serait un joujou régional) mais d’autant plus aléatoire que la concurrence est forte. L’écueil pour tout personnel politique est de se croire au centre du monde alors que, de toutes parts, les projets jaillissent et prétendent placer en pointe telle ou telle ville ou région.

Coûts, confort et dangers

Les chiffres les plus farfelus sont avancés sur le coût de ce mode de transport. Pour ses promoteurs, il serait inférieur d’au moins 30 % par rapport au TGV. Or, ces chiffres sont infondés et même Sébastien Gendron, le patron de Transpod, évalue entre 25 et 30 millions d’euros le prix du kilomètre ! Un prix semblable aux lignes de TGV les plus onéreuses. Et surtout, avec des capacités nettement inférieures. D’autres évaluations évoquent une fourchette comprise entre 50 et 60 millions d’euros au kilomètre, proche du Maglev allemand ou chinois.

Reste la sécurité et le manque de confort. « Le problème fondamental est l’étanchéité du tube », prévient Yves Crozet, spécialiste de l’économie des transports à Sciences Po Lyon. « Faire un tube étanche sur 1000 kilomètres, cela va représenter un véritable défi technique. » Un défi que les ingénieurs travaillant sur l’hyperloop assurent, eux, pouvoir relever.

« C’est trop dangereux », prévient Jean-Louis Pagès, qui dispose d’une formation d’ingénieur électronique. « S’il y a un trou dans un tube, il y aurait une dépressurisation totale, et le choc serait terrible. Il ne resterait plus que de la bouillie. Et que fait-on en cas de panne avec des voyageurs bloqués dans une capsule ? »

Spacetrain, l’alternative

Représentation du véhicule développé par Spacetrain.

Chez Spacetrain, le nouveau projet d’aérotrain, la décision a été prise d’abandonner cette solution.

A l’image de l’effet piston, dans un tube dépressurisé, une importante quantité de chaleur s’accumule à la base de la navette. Pour refroidir ce tube, il est nécessaire d’installer des pompes à refroidissement sur toute sa longueur, ce qui fait augmenter le coût total de la solution et donc du billet pour l’usager, sans parler de l’impact environnemental, précise Thomas Bernin, le porte-parole de Spacetrain. C’est un élément qui nous permet de nous démarquer d’Hyperloop, mais surtout de proposer une solution moins contraignante pour les opérateurs et exploitants. Le tube posait des problèmes de sécurité : comment évacuer les passagers en cas d’incident. Affranchis du tube, nous utilisons des toboggans similaires à ceux des avions pour évacuer nos passagers de nos navettes.

Autre question posée par Jean-Louis Pagès : « Comment l’être humain peut supporter un voyage dans un tube opaque à 1200 km/h ? Il y a le problème de l’accélération, ce sont les montagnes russes. »

Ce qui amène même Alan Levy, mathématicien israélien spécialisé dans l’urbanisme et les transports en commun, à dire qu’Hyperloop, « ce n’est pas un moyen de transport, c’est un voyage garanti vers la gerbe. (…) Le confort sera abominable pour les passagers, prévient-il. L’ébauche sur laquelle est bâti le projet oublie une quantité de facteurs qui font que l’Hyperloop n’ira au final pas plus vite, ne coûtera pas moins cher, transportera moins de gens et consommera beaucoup plus de ressources que les trains à grande vitesse. Sur tous ces plans, le complexe de Musk l’a poussé à vouloir tout réinventer en ignorant tous les travaux l’ayant précédé dans le domaine. »

Bons projets et attaques obliques

Viennent ensuite les critiques sans fondement, venant de ceux qui profitent des incohérences et du flou d’Hyperloop pour barrer la route à toute introduction de nouvelles technologies de transport.

En clair, Hyperloop risque de nuire à l’émergence de projets comme Spacetrain, le nom d’un projet concurrent et de la start-up qui entrevoit ses premiers tests dans les mois à venir.

Spacetrain, qui fait passer aménagement de territoire avant course à la vitesse, reprend le projet de l’ingénieur Jean Bertin, qui devait relier Paris à Orléans et a été abandonné en 1977. Atteignant 422 km/h en essais dès 1969, son aérotrain établira un record du monde à 430 km/h en 1974. « Aujourd’hui, avec la modernisation des technologies, ce projet avant-gardiste arrive à maturation », estime Emeuric Gleizes, le patron de Spacetrain. « Nous nous positionnons sur des trajets de distance moyenne jusqu’à 300 ou 400 kilomètres : Paris – Le Havre, Paris – Orléans, Montpellier – Toulouse. »

Spacetrain évalue à 6 millions d’euros le coût du kilomètre d’infrastructure fixe, contre 50 millions pour Hyperloop et 15 à 20 millions pour une LGV.

Là, il s’agit d’une navette sur coussin d’air, avec un rail surélevé en béton. Ce nouvel aérotrain fonctionnerait à l’hydrogène, avec des piles à combustible sur le toit. La start-up est déjà en contact avec des industriels pour développer un prototype. Siemens pourrait fournir le moteur à induction et Dassault Systèmes, les logiciels de calcul.

Si le Préfet du département donne son accord, cet aérotrain, qui transportera à terme 250 personnes, pourrait être testé à partir de 2019 ou 2020 sur une portion du rail en béton entre Saran et Chevilly (Loiret) sur 9,6 kilomètres. Spacetrain atteindra les 600 kilomètres à l’heure, la vitesse cible désormais annoncée par Elon Musk pour les essais…

La SNCF en embuscade

Sans surprise, à la haute direction de la SNCF, les arguments contre Hyperloop reprennent ceux qu’elle ressasse depuis des lustres contre l’aérotrain.

Pour François Lacôte, en tant qu’ancien directeur technique du transport chez Alstom, un des principaux inventeurs du TGV, la volonté de vouloir s’affranchir du contact roue-rail est absurde.

La résistance à l’avancement, explique-t-il dans La Lettre de l’association Pangloss, provient pour l’essentiel de la résistance aérodynamique (l’air) qui est identique pour tout véhicule opérant à l’air libre.

L’expert lance alors un énorme pavé dans la mare en reconnaissant qu’on pourrait, sans dépenses excessives en énergie, accroître jusqu’à 500 km/h la vitesse de nos TGV ! Il déclare en effet :

Au demeurant, [lorsqu’on augmente la vitesse] la dépense énergétique reste d’un niveau tout à fait acceptable : la part de l’énergie dans le coût d’exploitation d’un TGV à 300 km/h est de l’ordre de 5 % seulement, et ainsi resterait encore faible (14 %) à 500 km/h.

Il le confirme : « A 320 km/h de vitesse commerciale, la part de l’énergie dans le coût d’exploitation du TGV n’est que de 5 % ; il est donc tout à fait possible d’envisager une vitesse d’exploitation sensiblement supérieure (par exemple 400 km/h), soit un facteur 1,6 d’augmentation du coût de l’énergie (donc maintenant 6,5 % du coût d’exploitation), sans faire exploser le bilan économique du TGV en termes d’énergie consommée. » Mon premier commentaire serait de dire : Qu’attendons-nous ?

Pour cet expert mondial de la grande vitesse ferroviaire, Hyperloop n’est qu’« une formidable escroquerie technico-intellectuelle [car] il repose sur un objectif primordial : réduire la résistance à l’avancement, essentiellement aérodynamique (mais pas uniquement) à la vitesse envisagée ».

Or, selon lui, le coût énergétique (à 500 km/h) pour surmonter cette résistance aérodynamique serait marginal. Rappelons cependant qu’au-delà de cette vitesse, ce coût explosera.

Ensuite, Lacôte allègue avec raison que « le gain de temps apporté par une augmentation de vitesse décroît avec la vitesse (c’est bien triste, mais c’est comme cela). Ainsi, pour un trajet de 600 kilomètres, une augmentation de vitesse commerciale de 100 km/h fait gagner 1 heure en passant de 200 à 300 km/h (trajet alors effectué en 2h seulement), fait gagner encore 1/2 h en passant de 300 à 400 km/h (trajet en 1h30), mais seulement 18 mn de 400 à 500 km/h, 12 mn de 500 à 600 km/h, etc., et plus que 6 mn en passant de 800 à 900 km/h (vitesse envisagée pour Hyperloop)… »

Et ce gain de temps, réel mais décroissant, n’apporte pas un intérêt économique majeur si le débit du nombre de passagers est aussi faible que celui d’Hyperloop. Là encore,

Lacôte tient un argument de poids qui est valable pour Hyperloop (faible débit) mais pas forcément pour Spacetrain (capacités de véhicules plus amples et non-contraints de la taille du tube) :

Le débit de la ligne Hyperloop est catastrophique : à décélération identique (par exemple celle du TGV en freinage d’urgence), la distance d’arrêt croît comme le carré de la vitesse. L’espacement de sécurité entre trains doit évidemment prendre en compte cette distance de freinage en urgence : pour un TGV à 300 km/h il faut un minimum de 3,3 km ; avec une décélération identique (on n’ose imaginer des voyageurs contraints à l’immobilisme, sanglés sur leurs sièges, pendant toute la durée du voyage), cette distance de sécurité devient 10 kilomètres pour un véhicule circulant à 900 km/h. On peut imaginer (ce qui ne s’est pourtant encore jamais fait en ferroviaire) de réduire cet espacement en tenant compte de la vitesse du véhicule qui vous précède et ainsi de sa distance de freinage, mais à une valeur qui devrait rester de l’ordre de 7 kilomètres pour des raisons de sécurité assez évidentes. Ainsi, là où les systèmes ferroviaires à grande vitesse actuels permettent un espacement de 3 minutes, soit un débit théorique de 20 trains à l’heure, on ne devrait pouvoir faire mieux (même avec l’hypothèse ci-dessus de ’chaînage’ des circulations) qu’un espacement de 6 minutes en Hyperloop, soit un débit théorique de 10 navettes à l’heure. Facteur très largement aggravant, la capacité unitaire des véhicules est très différente : une rame TGV Duplex en unité multiple emmène 1000 voyageurs, alors qu’une navette Hyperloop est limitée à moins de 100 voyageurs, soit 10 fois moins de capacité. Ainsi le débit théorique du système Hyperloop (1000 passagers par heure) est 20 fois inférieur au débit théorique du système TGV (20 000 passagers par heure) !

L’enthousiasme de celui qui qu’on qualifie parfois de « père du TGV français » l’emporte sans doute un peu, bien qu’il prenne la précaution d’y ajouter le qualificatif « théorique ».

Vient ensuite le problème réel de la géométrie de la voie, que Lacôte pense une fois de plus à partir d’un véhicule très lourd du type TGV :

La très grande vitesse envisagée (900 km/h) implique un tracé quasi-rectiligne de la voie, aussi bien en plan qu’en altimétrie. Ainsi, par exemple, le discours expliquant que la capacité du mobile à grimper des pentes importantes (ce qui est exact) permet de mieux s’inscrire dans le relief traversé est une véritable imposture : en effet, outre la rectitude du tracé en plan (rayon de 50 kilomètres pour obtenir le même niveau de confort qu’en TGV et ses courbes de 6 kilomètres), il faut insister sur l’importance des rayons de courbure du profil en long (en creux comme en bosse) : de l’ordre de 25 kilomètres en TGV pour 300 km/h, ils devront être de l’ordre de 200 kilomètres pour 900 km/h !

Ces observations sont sans doute vraies pour le système lourd du TGV, elles le sont beaucoup moins pour les véhicules « poids plume » comme l’aérotrain, le Maglev ou l’Hyperloop.

Ce dernier, dans sa version « coussins d’air sur skis » pourrait en théorie intégrer les avantages d’un pendulaire et donc s’affranchir partiellement de cette problématique.

Ce qui ressort fortement, c’est que cet expert fait l’impasse sur un critère majeur : le poids. Une rame de TGV (2 motrices encadrant 8 remorques) pèse environ 385 tonnes. L’Eurostar, deux fois plus long, le double. Ainsi, un TGV lourd, avec ses roues et ses amortisseurs, ne sera jamais rentable à l’échelle de la Belgique car prisonnier d’un temps de démarrage et de freinage très long. L’énergie cinétique existe réellement.

Par contre, un aérotrain « nouvelle génération », relativement léger, pourra atteindre des vitesses moyennes beaucoup plus élevées sur des distances relativement courtes. C’est le cas pour Spacetrain, dont le premier prototype (ST 01) prévu pour 20 à 40 personnes circulant à 600 km/h, affiche 7,8 tonnes par véhicule.

Précisons qu’à part des petits colis et du courrier très urgent, le transport de fortes charges annule d’office tout l’avantage de ce mode de transport. Le fait qu’Hyperloop propose le transports de conteneurs a donc de quoi faire sourire.

Autre critique, la Note scientifique N°5 de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques de juillet 2018 rédigée par le député Cédric Villani (LREM), qui s’interroge : « Si le transport à grande vitesse semble bien adapté aux pays-continents comme les Etats-Unis […], qu’en est-il pour les petits pays européens déjà dotés de LGV [lignes à grande vitesse] ? »

Certes, mais elles sont toutes gelées ! Je ne les vois pas arriver, moi, ni à Toulouse, ni à Limoges…

Semant le doute tout azimut, le rapport Villani, en réchauffant de vieux arguments contre l’aérotrain, émet des réserves quant à la faisabilité générale du projet : « Il sera très difficile, voire impossible, de construire des lignes dans les grandes métropoles jusqu’aux centres-villes. Il faudrait donc que le système THV vienne se greffer aux infrastructures préexistantes. Quitte à encombrer encore plus les gares et les aéroports. »

Sachez qu’à La Défense, les correspondances entre le RER et le métro étaient initialement pensées pour la ligne aérotrain devant relier Cergy-Pontoise.

A propos d’Hyperloop, le député de la majorité n’a pas tort lorsqu’il y voit le risque de créer un « système de transports à deux vitesses […] où les plus rapides sont réservés aux plus riches ».

Alors que nous occuperions les ronds-points pour protester contre le prix du diesel, Macron prendrait l’Hyperloop pour se rendre au Touquet ? Elon Musk semble définitivement atteint de « macronite » aiguë lorsqu’il propose de construire un tunnel ayant la taille d’une seule voiture pour se déplacer à 240 à l’heure sous les grandes villes !

Pour Yves Crozet, le projet de THV initié par le PDG de Tesla est un « bullshit total ». « L’Hyperloop est un leurre depuis le début. Elon Musk a sorti cette idée pour tuer le projet de TGV californien à 300 km/h ! », révèle ce spécialiste, sans préciser de quelle façon. « Une capsule toutes les dix secondes, c’est impossible. Il faut un temps de sécurité minimum entre deux capsules, pour ne pas qu’elles s’écrasent mutuellement en cas de dysfonctionnement. »

Au scepticisme technique initial s’ajoutent désormais des inquiétudes sur certains dirigeants, lorsqu’a été révélé qu’Hyperloop One n’allait pas éviter l’un des plus grands clichés de la Silicon Valley : le passage par un tribunal.

Au centre d’une série de procès entre les cofondateurs de la compagnie, l’un des directeurs a démissionné et porté plainte, entre autres, pour harcèlement moral après avoir trouvé une corde à nœud coulant sur son bureau. Lui-même est aujourd’hui accusé d’avoir voulu saboter l’entreprise en créant un « Hyperloop Two » baptisé Newco.

Et selon l’agence Bloomberg, cinq femmes, ayant gardé l’anonymat, accusent le cofondateur d’Hyperloop Shervin Pishevar de les avoir agressées ou harcelées sexuellement dans le cadre professionnel, des faits qui remontent pour plusieurs d’entre eux à 2013. Le présumé coupable, qui a démissionné de son poste, parle de complot et réfute en bloc les accusations.

Pour Vincent Bellem, du magazine Les Inrocks : « Le roi de la disruption technologique [Elon Musk], par ailleurs empêtré dans une affaire de fraude, n’aurait donc pas pour priorité de voir aboutir l’Hyperloop. (…) Les Emirats arabes unis, qui attendent une ligne hypergrande vitesse entre Al-Aïn et Abu Dhabi à l’horizon 2020, ou encore la Chine, qui espère avoir son train magnétique d’ici 2021, risquent de devoir patienter encore longtemps… ».

Conclusion

Alors que chez nous on prétend qu’on arrive à la fin de « l’accélérationnisme », à l’autre bout du monde, le réseau ferroviaire à grande vitesse chinois atteindra rapidement 38 000 kilomètres d’ici 2025. Dans une première phase et après plusieurs années de réflexion, la Chine a choisi de conjuguer les avantages du TGV (250 à 350 km/h) à ceux du Maglev et de l’aérotrain. En effet, l’immense partie du réseau TGV chinois actuel circule sur des viaducs réduisant massivement l’emprise au sol, sans couper en deux les territoires ni gêner l’activité économique.

Cependant, il n’y a de constant que le changement. Ainsi, le 25 janvier 2018, un plan a été approuvé par un comité de révision composé de 19 experts, en vue de concevoir et réaliser un train sans roues utilisant la lévitation magnétique et se propulsant à 600 km/h.

Chez nous, en Europe, selon la géographie de chaque pays, il est urgent de sortir de la pensée unique et de savoir penser la complémentarité des différentes technologies, chacune présentant ses avantages et ses désavantages.

  • Dans l’immédiat, pour le trafic interurbain, voué à relier des métropoles séparées par de grandes distances, il faut, là où les projets sont prêts, investir le nécessaire pour étendre le réseau TGV actuel tout en permettant aux LGV de circuler à 500 km/h. Nous disons donc oui à la LGV pour Toulouse et Limoges.
  • Dans l’attente d’une révolution dans les supraconducteurs, le coût de la lévitation magnétique reste rédhibitoire. En effet, tapisser des centaines de kilomètres de voies avec des bobines de cuivre haute qualité (les aimants), dont la conductivité électrique est quasiment le double de celle de l’aluminium, reste un obstacle majeur. Demain, grâce à la fusion thermonucléaire, on pourrait sans doute faire baisser les coûts de production de ce métal. Construire un Maglev de 400 kilomètres de long dans un tunnel sous vide partiel, comme le propose le projet « Swissmetro », reste à terme, vu le relief de ce pays, une piste à travailler.
  • En attendant, et en général, pour les trajets suburbains, c’est-à-dire de moins de 300 kilomètres, une voie aérotrain (coussin d’air) sur pylônes, installée sur la berme centrale des autoroutes et à faible coût (6 à 10 millions d’euros le kilomètre selon motorisation), reste l’option la plus prometteuse. Ainsi, l’Etat français ainsi que la SNCF, au lieu de faire les yeux doux aux milliardaires d’Hyperloop, auraient intérêt à donner un coup de pouce à Spacetrain, une start-up qui a entièrement repensé les premières réalisations de Jean Bertin et de son aérotrain.
Tracés intéressants pour la technologie Spacetrain.