Au « China bashing », Paris oppose l’amitié franco-chinoise

vendredi 6 décembre 2019, par Christine Bierre

Emmanuel Macron avec Xi Jinping à l’Exposition internationale des importations de Shanghai, le 5 novembre 2019.

Par Christine Bierre

Lors de son voyage en Chine du 4 au 6 novembre derniers, Emmanuel Macron, à la tête d’une importante délégation, a continué à peaufiner la nouvelle image d’une France « non alignée » et « puissance d’équilibre » qu’il avait déclinée lors de son intervention devant les Ambassadeurs de France, le 27 août dernier.

Si au niveau national, le peuple n’en peut plus des politiques de casse sociale et d’austérité appliquées par Emmanuel Macron et ceux qui l’ont précédé, et du soutien dont bénéficient, au contraire, les groupes financiers les plus puissants, le domaine de la politique étrangère prends actuellement une meilleure orientation avec une recherche, encore timide, de plus d’indépendance vis à vis de l’ordre néo-libéral anglo-américain qui est à l’origine des politiques de crise que nous subissons. Espérons que cette tentative de rapprochement avec les pays « émergents », et avec la Chine notamment, pour qui la priorité est la modernisation de leurs pays et la hausse du niveau de vie de leurs populations, impactera positivement nos gouvernements.

Face à la terrible montée du « China bashing » qui vient des Etats-Unis actuellement, couplée à des véritables opérations d’ingérence dans le conflit à Hong Kong et dans la situation délicate du Xinjiang, M. Macron a clairement joué la carte de l’amitié franco-chinoise, et d’une coopération assumée dans les domaines de la haute technologie, ne touchant pas, bien sur, aux domaines protégés de la sécurité nationale. Le président Xi Jinping a exprimé, lui-aussi, non seulement son amitié envers la France – un accueil particulièrement chaleureux - mais une volonté très nette de construire avec nous un communauté de destin.

Ce voyage en Chine a été aussi l’occasion pour M. Macron de continuer à exposer ses réflexions sur la chute actuelle de l’Occident qu’il avait tenu à cette même conférence des Ambassadeurs, dont les causes se trouvent, selon lui, dans la mondialisation non maîtrisée. (voir ci-dessous) Il y a eu aussi une volonté de comprendre les ressorts qui ont permis à la Chine de grimper à la deuxième place du monde et, aussi, d’essayer d’imaginer un nouveau cadre réglementaire qui permettrait d’établir un dialogue gagnant-gagnant et apaisé avec elle, évitant le réflexe de la peur qu’on peut éprouver face au grand mec qui apparaît soudain dans la cour de la récrée et dont on ne connaît pas les intentions, une image utilisée par Xi Jinping souvent.

Rétablir le multilatéralisme

Par rapport à ces phénomènes, un consensus certain a été trouvé pour dire non à l’unilatéralisme et au protectionnisme promus par certains – Trump, pour ne pas le nommer – et pour chercher la voie du dialogue et du multilatéralisme. D’ailleurs le Président Xi a été explicite. Lors de la conférence de presse avec Emmanuel Macron à la fin du voyage, il a multiplié les piques contre « la loi de la jungle et les actes intimidants », le « protectionnisme et les jeux à somme nulle » que certains déploient à l’échelle internationale. Il a encore enfoncé le clou en appelant à s’opposer « à la juridiction à bras long et à l’utilisation abusive de la sécurité nationale. »

Au niveau européen, ils ont appelé tous deux a : 1) relancer la reforme de l’OMC, qui pourrait ainsi devenir un cadre réglementaire nouveau permettant de gérer la situation nouvelle d’une Chine qui a, Emmanuel Macron a prononcé le mot, « taillé des croupières » aux entreprises européennes dans un certain nombre des domaines. L’accord sur le commerce et les investissements Chine-UE, qui doit être négocié en 2020, sera l’autre occasion permettant de rééquilibrer la situation. L’accord obtenu de haute lutte pour que soient reconnues 100 indications géographiques des produits européens – des labels très connus – a été salué par les deux. Parmi ces indications géographiques, 26 sont françaises, dans le domaine des vins, des spiritueux et des fromages.

Coopérations dans la haute technologie

Si une coopération avec le projet Nouvelles Routes de la soie chinois, qui hérisse la plupart d’Occidentaux, ne semble même pas avoir été abordé, les deux partenaires sont bien décidés à poursuivre leur coopération bilatérale et à promouvoir les coopérations gagnant/gagnant dans les domaines de la haute technologies entre les entreprises chinoises et françaises ou européennes. La coopération future semble s’inspirer du document publié en novembre par la Chambre de commerce chinoise auprès de l’UE.

Lors de la conférence de presse conjointe avec Emmanuel Macron, le président Xi a annoncé des offensives dans quatre domaines particulièrement intéressantes. Il est question de « viser le long terme et faire avancer les grands projets de coopération », notamment dans les domaines de l’énergie nucléaire, aéronautique et spatial (satellites notamment). Auxquels on ajoute la coopération concrète dans les véhicules à nouvelles énergies et connectés, (on sait que les Chinois sont en tête sur les voitures électriques), et l’Intelligence artificielle.

Quand à Emmanuel Macron, il a aussi insisté sur cette coopération nécessaire dans les domaines de la haute technologie, proposant que la méthode devrait être la méthode réussie de la coopération Franco-chinoise dans le domaine du nucléaire.

 ... nous avons aussi décidé, sur, à la fois les marchés tiers et les prochaines tranches développement, de nous redonner dans les prochains mois de la visibilité ensemble (…) et de ne pas confondre les sujets commerciaux et les sujets stratégiques et de souveraineté qui, bien souvent, sont confondus. Et comme nous l’avions fait historiquement pour le nucléaire, de nous dire : on se donne un cadre de discussion. Ensuite, vous l’avez dit : nous continuons de nous développer de part et d’autre sur des sujets extrêmement structurants que sont : l’industrie du futur, la ville durable et au fond, les mobilités de demain.

La pêche aux contrats

Pas de gros contrats, cette fois-ci, mais une quarantaine de contrats concernant le nucléaire, l’aéronautique, les moteurs d’avion et l’agriculture.

Le nucléaire

Coup de théâtre sur le nucléaire. Les deux partenaires ont signé un protocole d’accord, s’engageant à signer le contrat pour la construction d’une usine conjointe de retraitement du combustible nucléaire en Chine, au plus tard le 31 janvier 2020.

Les négociations traînent en longueur depuis plus de 10 ans entre Orano (Ex-Areva) et la CNNC chinoise. En cause, de nombreux changements de dirigeants ou de structures de direction des deux côtés ; des histoires de corruption qui n’ont pas aidé. Puis, la question du prix qui fait rechigner les Chinois : un contrat de plus de 20 milliards, dont plus de 10 milliards pour Orano. Enfin, certains évoquent en haut lieu, des pressions des États-Unis sur la France, pour ne pas initier la Chine à ces technologies sensibles. Cependant, indique-t-on de source sérieuse, Français comme Chinois veulent en finir avec les négociations et comptent se donner les moyens pour y arriver ; c’est la raison de la signature du protocole d’accord.

Aéronautique

Quelques perspectives importantes pour l’Aéronautique. L’immense marché chinois pourrait enfin s’ouvrir aux avions turbopropulseurs du constructeur franco-italien ATR qui pourrait être certifié en mars 2020.

Le groupe aéronautique Safran a obtenu en octobre la certification de son moteur d’hélicoptère WZ16, ouvrant la voie à la production avec son partenaire chinois AECC. C’est un moteur franco-chinois qui doit équiper les hélicoptères AC152 coproduits par Airbus et le chinois Avic, dont 230 exemplaires ont été commandés. « Avec plus de 500 moteurs en service, annonce Safran, la Chine est un marché stratégique pour Safran Helicopter Engines. Un hélicoptère sur deux y est actuellement motorisé avec un moteur fabriqué par Safran, ou construit sous licence. Ce niveau de marché est le résultat d’une coopération avec l’industrie chinoise démarrée il y a 40 ans ».

Safran a également signé trois contrats d’une valeur globale de 4 milliards d’euros pour son moteur d’avion Leap IA.

Airbus va « approfondir la coopération industrielle » avec la Chine « dans les prochaines années ». L’avionneur européen dispose d’un site de production d’hélicoptères à Qingdao (est) et d’avions A320 à Tianjin (nord). Il compte y augmenter « sa cadence de production pour atteindre six appareils par mois d’ici fin 2019, soit une augmentation de 50 % », selon un communiqué. Il y fera également les aménagements intérieurs et la peinture d’une partie des gros-porteurs A350 à partir du second semestre 2020.

Agroalimentaire

C’est avec une forte délégation d’agriculteurs dans l’avion, qu’Emmanuel Macron est parti en Chine cherchant à profiter de la forte consommation de viande là-bas, pour combler le déficit de la consommation en France. La crise du cheptel porcin chinois, décimé par la peste porcine, est aussi une occasion d’augmenter nos exportations là-bas.

Décisions ? La levée de l’embargo sur le poulet français obtenu en mars, va être élargie aux palmipèdes et au foie gras. Les autorités chinoises doivent encore donner des agréments aux producteurs pour pouvoir exporter. Et pour ce qui est de la viande, vingt abattoirs et entreprises des filières volaille, bœuf, porc et charcuterie ont été agrées.

Paris et Beijing engagerons aussi des échanges techniques en vue d’un accord de zonage dans la lutte contre la peste porcine d’ici à la fin de l’année 2020. Un accord a été aussi signé pour permettre à la France de continuer à exporter son porc en Chine, même si une zone est concernée par la peste porcine.

Intervention d’Emmanuel Macron à l’Exposition internationale des importations de Shanghai, le 5 novembre 2019

Réflexions approfondies sur l’ordre international et la Chine

Dans son discours à la CIIE (Exposition internationale des importations en Chine), Emmanuel Macron a poursuivi les réflexions qu’il avait tenues lors de la conférence des ambassadeurs à Paris, portant sur les difficultés que connaît l’ordre « occidental » de la mondialisation financière, mais s’est longuement attardé sur l’émergence fantastique de la Chine.

Il n’a pas hésité à montrer son admiration pour les immenses progrès qu’a connus la Chine, depuis ce jour, « il y a 100 ans », où de Shanghai « partirent 2 étudiants ouvriers, Zhou Enlai et Deng Xiaoping, sur un bateau, à destination de Marseille. » C’est sous leur impulsion qu’il y a un peu plus de 40 ans, « la Chine s’engageait (...) dans l’ouverture et la réforme. Ce mouvement progressif et pragmatique fut l’un des points de bascule de l’ordre mondial contemporain. L’une des immenses forces de la Chine est la conscience, précisément, du temps long »

Reconnaissance du travail accompli par la Chine

M. Macron a voulu apporter plusieurs messages à la Chine. Le premier, est que ce choix de l’ouverture et de la réforme qui lui a permis un développement prodigieux, reste valable aujourd’hui. L’ouverture a « permis, ce qui est sans nul doute le changement économique et social le plus rapide et le plus massif de l’histoire de l’humanité ». Un succès « qu’elle doit à ses propres forces », a dû reconnaître M. Macron, mais aussi « à la mondialisation contemporaine, dont elle a bénéficié, autant qu’elle l’a façonnée, tirant parti de sa main-d’œuvre abondante, des investissements étrangers, des exportations de biens manufacturiers, en particulier depuis son accession à l’Organisation Mondiale du Commerce, en 2001, déplaçant le centre névralgique de l’économie mondiale vers l’Asie, tirant la croissance mondiale vers le haut, montrant la voie à nombre de pays en développement. »

La Chine a besoin du monde, et le monde de la Chine

Aujourd’hui, dit-il, même si dans plusieurs domaines de l’innovation elle a acquis désormais le leadership, elle a toujours besoin du savoir faire des entreprises étrangères. « La Chine n’est plus aujourd’hui l’atelier du monde pour la production de produits à bas coûts. Elle entend, à juste titre, développer son marché intérieur, offrir des perspectives à ses classes moyennes, occuper les premiers rangs dans la compétition mondiale sur les produits à haute valeur ajoutée technologique. Elle compte sur ses propres forces, mais elle a aussi besoin des compétences et des savoir-faire que les entreprises étrangères, présentes à cette foire, peuvent lui apporter : 1) pour assurer la sécurité alimentaire de sa population qui représente plus de 20 % de la population mondiale étalée sur 7 % de la surface arable du globe. Pour relever le défi du vieillissement démographique, la prise en charge de la dépendance, les enjeux de la santé. Pour réussir la transition énergétique, son objectif de civilisation écologique, construire des villes durables, dans un contexte où la population urbaine chinoise augmente de près de 18 millions de personnes chaque année. Pour l’innovation enfin, même si la Chine a rattrapé aujourd’hui une très grande partie de son retard et acquiert un leadership dans plusieurs technologies de rupture, car la Chine est un pays d’inventeurs : hier la poudre à canon et la boussole, aujourd’hui l’intelligence artificielle et le calcul quantique. Nous aussi, nous avons besoin d’une plus grande ouverture de la Chine et de son marché domestique. »

Résoudre les fractures béantes de la mondialisation financière

Deuxième message de M. Macron, la crise actuelle n’est pas un « phénomène passager » ; les causes se trouvent dans les « déséquilibres liés à une mondialisation qui n’a pas su endiguer la montée des inégalités au sein de chacun de nos pays, la concentration des richesses entre les mains des plus riches et dans certains territoires, les désindustrialisations, la déstabilisation des classes moyennes dans beaucoup d’économies. »

La Chine et la France, partenaires de premier plan

La Chine, amie, adversaire, ennemie ? Pour Monsieur Macron cette question doit être résolue en construisant un cadre permettant une concurrence plus équitable.

Nous avons beaucoup discuté au cours des derniers mois sur le point de savoir si nous étions ou non des rivaux. La réalité, c’est que l’Europe et la Chine sont des partenaires, de premier plan, dans les échanges internationaux, et en même temps des concurrents, du fait du succès de la Chine dans son rattrapage, et que c’est ce cadre qu’il nous faut organiser.

Certains appellent cela la « coopétition » !

Et Monsieur Macron de proposer quelques réformes à la Chine tels que l’accélération des procédures d’entrée sur le marché chinois, plus transparentes, des voies de recours pour nos entreprises, un traitement égal dans l’accès aux subventions et aux marchés publics.

C’est pour créer ce cadre, que les deux présidents sont d’accord pour promouvoir une réforme de l’OMC permettant de répondre, dans un cadre coopératif, aux questions de transparence, de surcapacités, de subventions d’Etat. Ils sont aussi d’accord pour qu’en 2020 aboutisse enfin l’accord de commerce et des investissements entre la Chine et l’UE.

Construire un ordre international d’équilibre durable

Enfin troisième message d’Emmanuel Macron, la Chine et l’UE doivent contribuer à créer un ordre international d’équilibre durable. Car, aucun jeune ne peut être convaincu de l’intérêt de l’ouverture de la force du commerce international, si cela ne l’aide pas à vivre mieux, à se nourrir mieux.

C’est pourquoi Macron propose à l’UE et à la Chine des perspectives pour établir une nouvelle confiance : une agenda de confiance alimentaire pour faire face aux défis démographiques et sanitaires ; un Agenda technologique et d’innovation ensuite pour bâtir une nouvelle confiance dans ces domaines, car « la Chine d’aujourd’hui n’est pas celle de 1978. Elle a plus que comblé son retard et, par l’ouverture, dépassé largement dans de nombreux domaines ses concurrents internationaux. Mais là aussi, il nous faut bâtir les règles d’un nouveau dialogue de confiance. »

Et Emmanuel Macron de faire appel à la façon dont la France a coopéré avec la Chine renaissante pour l’aider à élever son niveau :

Nous devons savoir, faire en matière technologique, ce que nous avons parfois su faire en matière de nucléaire civil, ou d’autres technologies. Construire un véritable agenda de confiance transparent où nous saurons distinguer ce qui relève de l’innovation, du commercial et de ce qui est souverain, le plus stratégique, où nous décidons de faire ensemble pour développer plus vite, mais en étant conscients et lucides, sur ce que nous devons préserver pour nous-mêmes, car il en est de nos intérêts stratégiques vitaux les plus existentiels.