Après l’Ukraine, Taïwan ?

vendredi 27 mai 2022, par Karel Vereycken

Michèle Flournoy expliquant la simulation d’une guerre nucléaire avec la Chine lors de l’émission phare de NBC Meet The Press.
CNAS

Dans la tête de certains stratèges anglo-américains (mais pas dans la réalité), tout se déroule comme prévu :

  • Poutine et sa grande armée s’embourbent en Ukraine.
  • Les pays européens membres de l’OTAN sortent le chéquier pour partager un peu plus le lourd fardeau de la défense européenne.
  • En s’approvisionnant aux Etats-Unis et en renonçant à consommer du pétrole et du gaz russes, les Occidentaux poussent la Russie à la ruine.
  • En vidant leurs stocks d’armes périmées pour les offrir aux Ukrainiens, ils se condamnent à en racheter chez nous outre-Atlantique.
  • L’ordre mondial « basé sur les règles » (les nôtres) perdure et Moscou cessera bientôt d’être une menace pour notre belle démocratie et notre mode de vie...
  • Concentrons-nous désormais sur la Chine, « après tout (…) la menace qui dicte la planification du département de la Défense », comme le précise le 22 mai la revue américaine Foreign Policy.

Biden se lâche

C’est dans ce contexte que vient de se terminer la première tournée en Asie du président Biden depuis son entrée en fonction, alternant accords commerciaux et déclarations menaçantes. Lors de sa conférence de presse à Tokyo ce lundi, Joe Biden n’a pas hésité à déclarer que les Etats-Unis défendraient militairement la province autonome chinoise de Taïwan !

A la question d’un journaliste : « Vous n’avez pas voulu vous impliquer militairement dans le conflit ukrainien pour des raisons évidentes. Etes-vous prêt à vous impliquer militairement pour défendre Taïwan si cela devait arriver ? », Biden a répondu : « Oui. C’est l’engagement que nous avons pris. (...) Nous étions d’accord avec la politique d’une seule Chine, nous l’avons signée (…) mais l’idée que [Taïwan] puisse être pris par la force n’est tout simplement pas appropriée. »

Lançant l’offensive, lors d’une conférence conjointe, le Premier ministre japonais Fumio Kishida a déclaré que le Japon et les Etats-Unis « vont surveiller les récentes activités de la marine chinoise, ainsi que les mouvements liés aux exercices conjoints de la Chine et de la Russie. (…) Nous nous opposons fermement aux tentatives de changer par la force le statu quo en mer de Chine orientale et méridionale. » Avant d’ajouter : « De plus, nous sommes convenus de nous occuper ensemble de diverses questions liées à la Chine, dont celle des droits humains. »

Le CNAS

Trois générations de va-t-en-guerre au CNAS : Madeleine Albright, Hillary Clinton et Michèle Flournoy.

Le 16 mai, la journaliste australienne Caithlin Johnstone a dénoncé que le Center for a New American Security (CNAS), un institut de réflexion où se sont réfugiés une belle brochette de néo-conservateurs va-t-en guerre de l’époque Bush-Clinton, vient d’organiser « des jeux de guerre simulant une guerre chaude directe entre les États-Unis et la Chine ».

Détail croustillant, le CNAS n’est pas financé uniquement par le Pentagone et les sociétés du complexe militaro-industriel Northrop Grumman, Raytheon et Lockheed Martin, mais également par le Taipei Economic and Cultural Representative Office, qui, Taïwan n’étant pas reconnu comme un pays souverain à l’ONU, lui sert d’ambassade aux États-Unis.

Le jeu de guerre, précise Johnstone, simule un conflit à propos de Taïwan qui, selon nos informations, se déroule en 2027 et dans lequel la Chine lance des frappes sur l’armée américaine afin d’ouvrir la voie à une invasion de l’île. Le jeu pose la question : « Quel camp l’emporterait ? La Chine attaquerait-elle le continent américain ? Une guerre nucléaire pourrait-elle éclater ? »

Ely Ratner

Autre sujet d’inquiétude, l’homme choisi par Biden pour diriger le groupe de travail du Pentagone chargé de réévaluer la position de l’administration vis-à-vis de la Chine, est un « expert » du CNAS. Cet homme, Ely Ratner, a déclaré publiquement que l’administration Trump n’était pas assez belliqueuse à l’égard de la Chine !

Ratner est aujourd’hui le secrétaire adjoint à la défense pour les affaires de sécurité indo-pacifiques dans l’administration Biden. Par ailleurs, le CNAS se vante du nombre d’experts qu’elle a pu placer au sein de l’administration Biden.

Interrogé par la chaîne chinoise CGTN sur ce qu’on pouvait attendre de la nouvelle administration, j’avais publiquement mis en garde contre cette dérive guerrière lorsque Michèle Flournoy, la cofondatrice du CNAS, apparaissait comme la grande favorite pour devenir secrétaire à la Défense de Biden.

Le 13 octobre 2020, immédiatement après l’élection, j’avais résumé mon analyse dans un article sur ce site intitulé « Joe Biden, le candidat du complexe militaro-financier ».

Rappelons également qu’en 2020, dans un éditorial de Foreign Affairs, le magazine de référence du très anglophile Council on Foreign Relations (CFR), Flournoy avait affirmé que les États-Unis devaient développer « la capacité de menacer de manière crédible de couler en moins de 72 heures tous les navires militaires, sous-marins et navires marchands chinois en mer de Chine méridionale ». Rien de moins.

Richard Fontaine

Richard Fontaine.

Pour sa part, le patron du CNAS, Richard Fontaine, vient de déclarer à Bloomberg :

La guerre en Ukraine pourrait finir par être mauvaise à court terme pour le pivot [asiatique], mais bonne à long terme (…) Si la Russie sort de ce conflit comme une version affaiblie d’elle-même et que l’Allemagne respecte ses engagements en matière de dépenses de défense, ces deux tendances pourraient permettre aux États-Unis de se concentrer davantage sur l’Indo-Pacifique à long terme.

Se montrant magnanime, le même Richard Fontaine estime, toujours dans Foreign Affairs, que « l’objectif de la politique américaine envers la Chine devrait être d’assurer la sécurité de la population chinoise ». Moins hypocrite, le magazine Foreign Policy, reprenant le 9 mai les propos de Fontaine, commente que « le but de la politique américaine envers la Chine devrait être de s’assurer que Beijing n’a pas la volonté ou la capacité de renverser l’ordre régional et mondial. »

Cela devient tellement, tellement dingue ! s’exclame Johnstone. Le fait que les médias de masse fassent maintenant ouvertement équipe avec les groupes de réflexion de la machine de guerre pour banaliser l’idée d’une guerre chaude avec la Chine dans l’esprit du public, indique que la campagne de propagande visant à obtenir leur consentement pour une ultime tentative de domination unipolaire de l’Empire américain s’intensifie encore davantage. La manipulation psychologique à grande échelle est de plus en plus manifeste et de plus en plus éhontée. 

Johnstone, comme beaucoup d’autres, semble ignorer qu’à l’échelle mondiale, un vent de révolte se lève :

  • Les Etats-Unis, le RU et l’UE s’isolent ;
  • La France s’interroge sur sa présence dans l’OTAN ;
  • Plusieurs haut-gradés de l’armée italienne manifestent leur désapprobation de la politique belliciste anglo-américaine ;
  • En Allemagne, le mouvement de la paix refait surface ;
  • L’Institut Schiller promeut sa proposition pour une nouvelle architecture de sécurité et de développement mutuel. (Merci de signer l’appel).

A vous de contribuer financièrement et de rejoindre le combat !